Marie-Hélène Borie, Grand-Témoin du cursus 2020-2021 de formation à la démarche de programmation urbaine
Aptitudes Urbaines : Marie-Hélène Borie, vous avez été Directrice des constructions publiques et de l’Architecture à la Mairie de Paris, également ancienne Directrice des Services Techniques du CHU de Toulouse : quelles ont été les grandes étapes de votre parcours, et plus précisément le lien avec la fonction de Maîtrise d’Ouvrage Publique ?
Marie-Hélène Borie : Je suis architecte de formation et ingénieure des Ponts et Chaussées – bien que je n’aie jamais fait de pont ni de chaussée ! J’ai commencé ma carrière en travaillant sur des sujets aussi divers que des politiques de l’habitat ou la politique de l’eau en administration centrale et territoriale, ce qui était en quelque sorte un premier contact avec l’élaboration et la prise de décision politique.
Par la suite, c’est en effet l’expérience de la maîtrise d’ouvrage, précisément en matière de construction publique, qui a caractérisé mon parcours. J’ai également été amenée à diriger des Services Techniques, en charge de l’exploitation de la gestion, de la transformation – et plus rarement de la construction – de bâtiments publics : une fonction particulièrement formatrice, au contact de ceux qui exploitent et qui entretiennent les bâtiments.
Que ce soit à l’échelle d’un Comité de Bassin, d’une organisation médicale, administrative et technique d’un grand CHU, ou dans le cadre juridique et administratif de la ville de Paris… la question de la fabrication et de la consolidation de la décision politique dans des univers complexes d’acteurs aux objectifs souvent contradictoires, m’a toujours animée.
Au cours de ma carrière, j’ai appris que la construction, et plus largement l’aménagement, ont besoin de décisions robustes dans le temps, à la hauteur des investissements en jeu, et assez solides pour « tenir le choc » dans les toutes les étapes d’élaboration, de fabrication et de gestion !
J’ai aussi pu prendre la mesure de la méconnaissance réciproque entre d’une part, la sphère de la maîtrise d’ouvrage, c’est-à-dire la sphère du commanditaire qui initie un projet et qui va prendre les décisions, et d’autre part la sphère technique au sens large, c’est-à-dire la sphère des ingénieries publiques et privées.
Cette méconnaissance – pour ne pas dire cette incompréhension – porte notamment sur le sens même de ce qu’est, ou de ce que devrait être, une démarche de projet. Au-delà des questions administratives et de procédure : les étapes, la temporalité ou encore les objectifs du processus qui doivent permettre l’élaboration d’un projet sont rarement partagés entre les différents acteurs réunis autour de la table !
APU : Dans ce contexte, qu’apportent selon vous les démarches de programmation au sens large notamment dans l’accompagnement et le conseil auprès des élus ?
MHB : J’ai souvent été surprise de la faible reconnaissance du programmiste par rapport aux autres grandes ingénieries de l’opération (MOE, BET…), alors qu’il joue un rôle fondamental !
C’est d’ailleurs en étant confrontée à l’ampleur et à la fréquence des modifications apportées en phase aval et autres « changements de programmes tardifs », que la question de la programmation pour élaborer et consolider en amont la décision politique m’est apparue comme une question essentielle !
Car qu’on se le dise : pour une opération entrée en phase de conception – voire de construction – les conséquences de ces reprises parfois très importantes apportées sur le programme initial peuvent être catastrophiques. En termes de coût, de temps, mais aussi d’épuisement des équipes … Sans parler de la perte de qualité finale de l’opération elle-même !
Or, la principale raison de ces reprises tardives et changement de programmes se trouve dans la faiblesse de l’expression des objectifs fondamentaux de la maîtrise d’ouvrage au démarrage de la réflexion : Pourquoi cette opération est-elle nécessaire ? A qui s’adresse–t-elle ? A quels problèmes, besoins ou encore finalités, doit-elle répondre ?
Les réponses à ces questions simples sont considérées comme implicites, évidentes. Mais ce n’est jamais le cas, et le simple fait de ne pas formuler, et donc de ne pas partager ces objectifs « de base », en amont, au sein même de la MOA, va dès le départ fabriquer des malentendus, des quiproquos qui vont ensuite se retrouver tout au long de la démarche de projet.
Une autre raison qui explique à mon sens la remise en question ultérieure des décisions amont tient au fait que la composition même de la maîtrise d’ouvrage, et plus largement la connaissance des parties prenantes, commanditaires, utilisateurs, usagers… est peu ou mal prise en compte. Or, il est essentiel d’identifier l’ensemble des acteurs concernés, et de les associer au bon moment à la définition des besoins et des objectifs du programme !
C’est ce que va apporter une démarche de programmation : accompagner et partager la définition en amont des objectifs, des contenus et des moyens de l’opération avec les bons interlocuteurs, pour in fine renforcer, et stabiliser la décision politique … et faire tout cela bien sûr avant la production d’image par la MOE, c’est essentiel !
APU : Vous avez accepté d’être le Grand Témoin de notre cursus de formation continue à la démarche de programmation urbaine, et nous vous en remercions. Quelles sont vos motivations, et qu’attendez-vous de cette année d’échanges ?
MHB : Je tiens d’abord à remercier Aptitudes Urbaines de m’avoir invitée à être Grand Témoin du cursus, et c’est avec plaisir que je me projette dans cette année de formation et d’échanges avec vous.
Je suis très intéressée de confronter l’expérience que j’ai pu acquérir concernant la formulation et la consolidation de la décision politique en matière de constructions publiques dans le champ de l’urbanisme et de l’aménagement, n’ayant qu’effleuré les échelles urbaines et territoriales – notamment sur des questions de schémas directeurs immobiliers.
La perspective de discuter avec des professionnels de divers horizons me motive également, et j’ai à ce titre quelques idées que j’aimerais transmettre sur la manière dont la sphère technique devrait apprendre à s’adresser, et à travailler, avec la sphère de la décision politique pour l’aider à consolider les fondamentaux du projet sans la remettre en cause… et ainsi contribuer à plus d’intelligence collective, et de qualité dans les opérations !